Marlo Thinnes enchante

Marlo Thinnes a donné un exemple assez peu fréquent de construction de programme, marqué à la fois par l’intelligence et la sensibilité.

En ouverture, il s’est lancé un véritable défi musical avec la monumentale sonate « Hammerklavier » (allusion au piano forte) dont l’ampleur et la difficulté sont des plus impressionnantes. En quatre mouvements les ambiances les plus variées s’offrent à l’interprète et aux auditeurs. Marlo Thinnes qui, d’un jeu ample, passe d’un vigoureux forte à un piano subito, installe un dialogue en écho entre les deux mains, affiche des lignes mélodiques et des tierces qui annoncent un romantisme naissant, alors que quelques minutes plus tard le jeu s’anime de motifs fugués et d’accords brillants.


À elle seule, cette sonate peut apparaître comme un chef d’œuvre musical, mais Marlo Thinnes, commentant brièvement les œuvres qui ont suivi, a fait entendre, de façon très convaincante, les raisons de l’intérêt de cette suite de programmation.
De fait, un effet de « ruissellement » marquait l’ensemble des pièces interprétées : la très mélodieuse élégie («  pour retrouver les chemins de l’amour  ») de Franz Liszt, évoquait la présence de Beethoven, par le biais de Czerny, l’un de ses disciples, mais aussi un maître pour Liszt.
De même Jeux d’eau de Maurice Ravel et ses gerbes musicales menaient en droite ligne à Ricardo Vines (Menuet spectral), dédicataire et interprète d’œuvres de Ravel, et, autre grande référence de musique française, les variations de Vladimir Horowitz sur un thème de Carmen de Bizet, dont Marlo Thinnes signalait le « trop de notes » tant la riche orchestration réduite aux seules ressources du clavier crée de contraintes.


Le choix des uns justifie la présence des autres
Loin de tout « collage » d’œuvres disparates, cette programmation offrait un véritable itinéraire où le choix des uns justifie la présence des autres. Toute l’histoire de la musique est marquée par cette réalité : Mendelssohn reprenant et enrichissant J.S. Bach, Liszt proposant des réminiscences d’opéras de Mozart, les transcriptions de Schoenberg de valses de J. Strauss ou la pratique des «  tombeaux  » (celui de Couperin par Ravel).
S’inscrivant dans cette riche et fertile tradition, Musiques au pays de Hanau, grâce à l’enviable complicité de Marlo Thinnes, a pu satisfaire le nombreux public présent à l’église protestante de Bouxwiller dont l’attention et la reconnaissance ont, de plus, été récompensées, en bis, par la très émouvante sicilienne extraite de la sonate pour flûte BWV 1031 de J.S. Bach, et transcrite par Wilhelm Kempff.


Pierre BOULAY – DAN 23/05/2019 – PhotoDNA