Ce récital d’orgue, d’une inventivité peu commune, s‘ouvrait par quelques compositions, illustrant des mises en scène assurées par Pierre Diependaële. C’était, en effet, le premier temps d’une série de manifestations en sa mémoire proposées par le Théâtre du Marché-aux-Grains de Bouxwiller, ici en collaboration avec Musiques au Pays de Hanau (MPH).
Quelque pièces de la Renaissance, d’abord pour illustrer « Le château la dame et le brigand », musiques dansantes, très proches de leur harmonisation vocale que tout choriste pouvait reconnaître.
Changement d’époque et de style, « Maschera » œuvre contemporaine audacieuse, avec des bribes d’opéra italien et, enfin, un arrangement somptueux de L.J.A. Lefébure-Wély de la Cavatine du Barbier de Séville de Rossini.
La deuxième partie rendait hommage à Jean-Jacques Werner, chef d’orchestre, compositeur, en dernier lieu de l’opéra « Luther » dont il avait présenté des extraits à Bouxwiller trois jours avant son décès subit en 2017. Musicien tout à la fois pétri de compositeurs baroques, romantiques et modernes, d’où une transcription pour orgue seul d’un aria de la Passion selon Saint Mathieu de J.S. Bach. « Aus tiefer Not » de J.J. Werner était, lui, très représentatif de cet héritage musical, tandis que sa Toccata, harmonieuse, vigoureuse et solennelle concluait cet épisode.
Une assez longue partie liturgique, en cette veille d’Avent, couronnée par le très émouvant « Quand Jésus naquit à Noël » de C. Balbastre, n’en oubliant pas pour autant d’autres ambiances évoquant des Noëls d’ailleurs (entre la Russie, l’Écosse et d’autres pays) et des moments d’intimité domestique, suggérant aussi bien la chaleur du foyer que la finesse des mets de la table familiale.
Hervé Désarbre, à la croisée se tous ces chemins, a très manifestement convaincu et enthousiasmé un public venu à un horaire inusité (14h), à l ‘écoute d’un orgue et de son célébrant. Les ressources de l’un et de l’autre méritent d’être saluées. Hervé Désarbre, en instrumentiste averti et réfléchi, sait tirer de cet orgue Silbermann qu’il admire, une foule d’effets variés qu’il avait déjà fait découvrir en 2016 ici même, lors d’un dialogue entre la musique et la poésie, précisément en compagnie de Pierre Diependaële.
Les registrations savamment préparées, les contrastes, souvent inattendus mais justifiés, la fluidité du jeu d’Hervé Désarbre donnent une pleine mesure de ce qu’un orgue comme celui-ci recèle. En plus de ce qui est, évidemment, attendu (le choral, le répertoire baroque, les compositions à caractère religieux, les transpositions à partir de sources instrumentales et vocales variées) Hervé Désarbre ose aller un cran plus loin, jusqu’à faire saisir des moments d’humour inattendu, des ambiances d’orgue de barbarie, des séquences où le jazz n’est pas loin, là où on l’attend pas. En bis, un arrangement du Negro Spiritual « Go tell it on the mountains » résumait un peu tout cela, afin, comme le disait l’organiste, de rendre hommage à quelqu’un qui n’était pas programmé, Joséphine Baker, à quelques jours de son entrée au Panthéon.
Pierre BOULAY – décembre 2021